CAMPAGNE DE MESURE POUR éVALUER LE COMPORTEMENT D’UN MUR à TRèS FORTE INERTIE VIS-à-VIS DU CONFORT éTé / HIVER

PRÉAMBULE CONCERNANT LA TRÈS FORTE INERTIE, COMME LA SPÉCIFICITÉ DU projet

Les murs à très forte inertie (égal ou supérieur à 50 cm), que l’on rencontre classiquement dans les bâtiments anciens et/ou patrimoniaux (avant la seconde guerre mondiale et l’avènement du béton), ont un comportement spécifique, directement induit par leur épaisseur et la composition souvent hétérogène de leurs matériaux (pierre, sable, chaux, gravier, terre, …). Cela induit un transfert thermique dans ce type de mur faisant appel à des principes physiques plus complexes que pour un mur neuf classique homogène de faible épaisseur en mono matériaux, ou constitué d’un complexe de matériaux clairement dissociables (béton + isolant, bois + isolant, etc. …). Les principes d’effusivité et de diffusivité dans la matière, de déphasage ou de facteur d’amortissement, …sont beaucoup plus complexes à modéliser, voire non modélisable, compte tenu de l’hétérogénéité successive de la composition de la structure bâtie.

Pour travailler depuis 30 ans sur la Simulation Thermique Dynamique, nous avons pu constater à de nombreuses reprises lors des audits de bâtiments, que les résultats de simulation étaient souvent nettement plus pessimistes que la réalité observée, comme les factures réelles enregistrées. Nous avons même dû créer une logique proportionnelle d’ajustement empirique des paramètres de ces simulations, afin de pouvoir recaler au plus juste celles-ci, vis-à-vis des effets réels enregistrés. De ces nombreux constats est née pour nous l’évidence que la très forte inertie non homogène mettait en œuvre des phénomènes de transfert plus complexes, induisant à l’évidence des performances nettement supérieures à ce que le calcul, comme la réglementation étaient capable de prendre en compte.

J’ai donc souhaité, dans le cadre de la réalisation de ce projet personnel de PIERRE VERTE, expérimenter cet état de fait en postulant de manière empirique, sur le niveau de performance ressenti et constaté, et non sur le résultat intrinsèque du calcul normalement simulé, voire des demandes réglementaires. Pierre Verte est un projet Manifeste, se décalant volontairement du cadre référentiel et réglementaire, pour prouver que l’approche actuelle n’est pas adaptée à des bâtiments de ce type. De fait le bâtiment n’est à priori pas réglementaire, puisque ces murs ne sont pas isolés au sens de la réglementation, et pourtant il est BEPOS, et atteint, voire dépasse même en résultat de consommations énergétiques le niveau BBC EFFINERGIE Rénovation 2009, sans pour autant en suivre les prérequis réglementaires.

En partant donc de la base de nos corrections empiriques utilisées lors des simulations, nous avons déterminé aussi bien les puissances de production à mettre en œuvre, que la performance globale du bâtiment, et la qualité de son confort été comme hiver, sans en isoler les murs. Une fois construit, l’analyse des mesures effectuées in situ, permet de le constater que les résultats obtenus, sont exactement à la hauteur de nos attentes.

METHODOLOGIE DE MESURE 

Pour valider le comportement spécifique de la très forte inertie, nous avons décidé de vérifier par le calcul comme par l’expérience in situ, cette problématique. Nous avons profité de la présence en interne d’un stagiaire de l’école de Mines d’Albi, pour développer dans le cadre de son stage, plusieurs approches croisées afin d’évaluer ces éléments :

Pour le calcul :

  • Une étude comparative de plusieurs méthodes de calcul d’inertie (norme ISO 13786, Méthode CAMIA, Méthode des admittances, …),
  • Le développement d’un module informatique spécifique en langage Python version 3, pour approcher ce comportement inertiel,
  • Une analyse comparative sur 30 autres compositions de parois (complexes), pour valider le modèle,

Pour le contrôle réel in situ des parois du bâtiment :

  • L’implantation de sondes de mesures dans un mur témoin représentatif (63 cm),
  • Une campagne de mesure durant une année complète.

Le premier constat par le calcul fut que :

  • Chaque méthode conventionnelle de calcul de l’inertie, donnait une valeur différente de la suivante, montrant la complexité d’approche des phénomènes physiques propres à cette structure non homogène à forte inertie,
  • Sur la base de la méthode ISO 13786 paraissant la plus efficiente, la comparaison entre les mesures réelles réalisées, et les valeurs données par la méthode ISO, a mis en évidence entre 30% et 80% d’écart pour les facteurs d’amortissement, et entre 100% et 140% pour les retards de pics de températures.

Même si une seule campagne de mesure ne peut représenter une analyse totalement « académique » tel un test en cellule de laboratoire, les écarts très importants confortent cependant le fait que l’approche théorique de ce type de paroi reste particulièrement complexe, voire non directement modélisable.

CAMPAGNE DE MESURES IN situ

Durant l’année 2022, nous avons pris comme cellule d’essai, un dernier local non restructuré en bout d’une aile de bâtiment. Ce local séparé physiquement du corps central sur 3 côtés, ne disposait que d’une jonction ponctuelle sur une paroi avec l’espace de l’escalier Monumental du corps central. Cet escalier étant lui-même très stable en température, car offrant un très grand volume protégé, et représentant uniquement un lieu de passage, ce qui permettait une condition d’expérience satisfaisante en termes non-incidence en termes de transferts thermiques. Par ailleurs ce local choisi étant orienté Nord Est, ne recevait l’ensoleillement direct que le petit matin en été sur une seule de ses faces. Le positionnement de cet espace en arrière du bâtiment le protégeait également la majeure partie du temps, de l’ensoleillement direct sur la toiture, comme sur les autres parois verticales. Ces dernières étant uniquement en échange avec la température extérieure sous abri. Sa toiture se trouvait être protégée en partie supérieure par un local couvert mais non totalement clos, se maintenant également à la température extérieure par sa large ouverture, et dont la toiture était elle-même quasi tous le temps protégée de l’ensoleillement.

Tel que représenté dans les images ci-après, il a été disposé 5 sondes de mesure, réparties de l’intérieur vers l’extérieur. Trois de ces sondes ont été introduites à respectivement 9 cm, 30 cm et 53 cm dans l’épaisseur du mur (mesures prises depuis l’extérieur), après percement latéral depuis le tableau de la fenêtre sur une vingtaine de cm de profondeur, puis rebouclement soigné avec isolant et enduit pour annuler le plus possible le transfert latéral. Une sonde a été placé à l’intérieur de la pièce, à l’ombre à proximité de la fenêtre. Une autre sonde a été apposée sur le mur extérieur proche de l’alignement des sondes interne au mur, afin de connaitre la température de contact sur le revêtement extérieur, ainsi que l’incidence du rayonnement solaire ponctuel en début de journée, sur cette paroi. Une sixième sonde a été disposé à l’ombre en arrière de ce local, dans un espace extérieur entre les deux parties de bâtiment, totalement protégée de tout rayonnement parasite. Elle a servi a déterminé la température sous abri.

Les sondes sont donc restées à minima sur un cycle d’une année, afin d’effectuer ces relevés. Il est retenu ici pour faciliter l’analyse, la semaine du 13 juillet 2022 au 19 juillet 2022, qui statistiquement se situe dans un mois de juillet des plus chauds rencontrés depuis 30 ans, et prend en compte la semaine la plus chaude et régulière en profils de températures extérieures, durant cette période. Les températures sous abri sont régulièrement restées tous les jours entre 32 et 36°C.

Le local a été maintenu fermé durant la totalité de cette période annuelle, sans occupation, sans charges internes, mais également sans ventilation, ni décharge nocturne, et bien sûr sans traitement complémentaire d’aucune sorte. Le but étant de vérifier uniquement le comportement de la paroi instrumentée, sans en modifier à aucun moment l’été général. Comme évoqué plus avant dans cette fiche, une action volontaire de décharge de cette inertie par ventilation nocturne, améliorerait bien évidemment très sensiblement le confort diurne. Mais afin de ne vérifier que le paramètre intrinsèque de transfert thermique dans le mur, cette optimisation évidente n’est pas mise en œuvre ici, alors qu’elle est bien entendu pratiquée en réel au sein des surfaces utiles du présent projet, et en montre sa parfaite efficacité.  

Les photos ci-dessous montre le contexte de réalisation de la campagne de mesures et les graphes associés en confirme les résultats obtenus.

Profil des relevés durant un mois du 04 juillet 2022 au 03 août 2022, intégrant le profil de l’ensemble du mois de juillet 2022. Le cadre rouge isole la période d’analyse plus fine présentée en détail ci-après du 13 juillet au 19 juillet 2022. Les mesures de la sonde 3 entre le 08 et le 11 juillet sont erronées, la sonde ayant sa pile d’alimentation en cours d’arrêt (remplacé ensuite le 11 juillet).

Le graphique est parfaitement représentatif de la sensation ressentie en termes de confort interne, comme de performance de la forte inertie.

La courbe rose

La sonde façade extérieure correspond à la température de la paroi extérieure du mur qui reçoit ponctuellement l’ensoleillement au petit matin (orientation Nord Est), et peut atteindre 40°C alors que le flux solaire du levant est encore faible, et que la température extérieure sous abri (courbe verte), est encore de seulement 27 à 28°C. Ensuite la température de cette paroi extérieure se stabilise dès qu’elle passe à l’ombre, et suit le profil de la température extérieure mais avec un déphasage d’environ + 5°C. Cela permet de comprendre également l’effet d’îlot de chaleur, où le rayonnement des parois des bâtiments ayant été exposées à l’ensoleillement, rayonne ensuite une ambiance thermique nettement supérieure à la température sous abri, même une fois passé à l’ombre.

La courbe verte

La sonde extérieure ombre est la température sous abri à l’ombre, et correspond localement à celle donné heure par heure par la météorologie nationale. On remarque que compte tenu d’un mois de juillet journellement très régulier en ensoleillement, les sinusoïdes de températures sont quasi parfaites d’un jour sur l’autre, avec une progression graduelle, du fait de l’élévation générale en température de l’ensembles des matériaux exposés dans l’environnement urbain (sol, murs, …).

La courbe en pointillé rouge

La sonde n°3 représente la sonde implantée dans le mur à 9 cm de la paroi extérieure. On note que l’amortissement de l’épaisseur même faible de la structure du mur (9 cm de matière hétérogène), lui donne le profil voisin de la température sous abri en journée (amortissement vis-à-vis de la température de la paroi extérieure), mais augmente son seuil de température la nuit d’environ 4 °C comparé à l’air extérieur (courbe verte), du fait à l’inverse d’une moindre capacité de décharge nocturne. Cependant, on peut noter qu’en période de nuit, la paroi extérieure (courbe rose), n’étant pas protégée, échange beaucoup plus facilement avec la voute céleste, ce qui abaisse plus fortement la température superficielle de cette paroi de 5 à 6°C, par rapport à la courbe de la sonde 1 (rouge pointillé). Cela signifierait que le même bâtiment avec des murs de seulement 9 à 10 cm d’épaisseur (tel que l’on peut parfois trouver dans des parois à colombage par exemple), évoluerait vers une température intérieure de 33 à 35°C le jour, et sans ventilation nocturne ne déchargerait pas en dessous de 25°C la nuit entrainant un inconfort permanent évident pour les usagers. 

La courbe noire

La sonde n°2 représente la sonde implantée à 30 cm de la paroi extérieure. On note que l’amortissement est déjà nettement plus significatif, lui permettant de ne pas dépasser 32°C le jour, mais maintenant 27 à 29°C la nuit. L’amplitude se réduit déjà sensiblement sans toutefois pouvoir garantir un confort optimal,

La courbe orange

La sonde n°1 représente la sonde implantée à 53 cm de la paroi extérieure. On note que l’amortissement est total. La courbe s’apparente maintenant quasiment à une droite comprise entre 27.5°C et 30°C. Pour rappel, ce local est fermé et non ventilé. Une ventilation nocturne permettant de gagner classiquement de 3 à 5°C selon le débit mis en œuvre (2 à 5 vol/h), permettrait sans difficulté de creuser la courbe en période de nuit, en profitant d’une température extérieure 6 à 8°C plus basse que la température intérieure. De ce fait, l’inertie jouant à plein sa fonction, la température intérieure resterait sans difficulté en deçà des 28°C le jour.

La courbe bleue

La sonde intérieure est la température finale interne à la pièce pour l’épaisseur du mur de 63 cm. Le profil est proche de celui de la courbe Orange, avec un léger effet de creux en période nocturne, dû à la décharge thermique apporter par la proximité de la fenêtre (transfert thermique avec la température de l’air extérieur plus basse, ainsi que la perméabilité à l’air de la périphérie de la fenêtre). Ce phénomène est également visible dans l’autre sens en début de journée dû à la montée rapide en température de la paroi extérieure et de l’ensoleillement arrivant ponctuellement sur la menuiserie et la fenêtre (visible dans la photo de la façade). Cependant même si cette fenêtre n’est pas protégée, compte tenu que l’ensoleillement qu’elle reçoit reste limité en durée, l’inertie totale de ce local est très faiblement affectée, et le confort thermique reste stable.

Comme décrit ci-dessus, la performance de la forte inertie est exactement vécue dans la réalité d’usage. Depuis 2016 que nous occupons les locaux, l’ensemble de nos bureaux n’ont pas dépassé 27.5°C lors des séquences caniculaires, avec des pics de températures approchant parfois les 40°C extérieur en journée, et cela malgré les charges internes dues à l’activité (personnes, éclairage, informatique, …). La décharge thermique est réalisée en réel dans les locaux de PIERRE VERTE, uniquement par l’ouverture nocturne de quelques fenêtres (protégées des intrusions éventuelles de volatiles par les volets à lames orientable et empilables (BSOE) déployés et mis en position inclinée. Cette ventilation nocturne naturelle suffit à compenser les apports évoqués précédemment, et à stabiliser ensuite la température diurne.

Le bâti ancien non homogène et à très forte inertie, montre ainsi parfaitement ici sa performance estivale, évitant l’installation d’un système de rafraîchissement coûteux, consommateur d’énergie, consommateur de matière première de plus en plus rare, et générateur de carbone, pour sa fabrication, son exploitation, son entretien, et son remplacement régulier. Le bâti ancien, voire patrimonial offre naturellement une réelle solution douce et sans dépenses au confort d’été. Devant le changement climatique, il représente une alternative censée et indispensable, afin d’éviter le plus possible l’accroissement galopant des systèmes de rafraîchissement et de climatisation. La non-isolation des murs permet également de réduire le coût d’investissement initial de la restructuration (simple enduit naturel sur les murs intérieurs), augmente la surface utile des pièces, et préserve là encore la planète d’une consommation supplémentaire de matériaux, et d’émission de CO² pour leur fabrication.

Selon la constitution des murs de votre patrimoine bâti, leur épaisseur et la zone climatique d’implantation, ne pas isoler ce type de mur est donc globalement une démarche préalable de bon sens, dont nous confirmons l’efficience, et que nous vous invitons à suivre.  

Alain CASTELLS
Gérant de la SCI PIERRE VERTE
Gérant de la Sté ADDENDA de mars 1999 à janvier 2024